La démocratie participative et les controverses socio-techniques

Va-t-on enterrer des déchets nucléaires dans votre jardin ? Probablement pas. Mais alors, que va-t-on en faire de ces déchets ? Et surtout, qui va prendre cette décision ? Retour d’expérience sur les dispositifs de démocratie participative

Si vous avez déjà eu l’occasion de lire mes deux derniers billets (ici et ici), vous aurez surement compris que les liens entre la science et la politique, notamment dans le domaine de l’écologie, sont les thèmes de recherche qui m’animent actuellement. C’est pourquoi je me suis portée volontaire pour participer à l’Atelier de la Relève, organisée par la Commission nationale du débat public (CNDP), dans le cadre du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR). Qu’est-ce qui se cache derrière ces sigles ?

La Commission nationale du débat public est une autorité administrative indépendante, c’est-à-dire un organisme mandaté par l’Etat sans que celui-ci ait une quelconque autorité sur lui. Son objectif est d’assurer que la voix des citoyen.ne.s soit bien représentée dans les décisions qui sont prises par le gouvernement français. Pour remplir cet objectif, elle anime des débats publics devant permettre au plus grand nombre possible de citoyen.ne de s’exprimer politiquement. Ces débats publics portent majoritairement sur des controverses socio-techniques, avec des impacts environnementaux. Quand au PNGMDR, la vidéo qui suit vous en donnera un bon aperçu.

Vidéo de présentation du débat public sur le PNGMDR

Pour participer à ce débat public, plusieurs choix s’offrent à vous. Depuis le 17 avril jusqu’au 25 septembre 2019 sont organisés sur tout le territoire français des rencontres pour aller leur dire de vive voix ce que vous pensez des déchets nucléaires. Sinon vous pouvez le faire directement en ligne sur leur site internet. Personnellement je suis allée à Paris pour l’Atelier de relève. Pendant deux jours, 40 étudiant.e.s ont été invité.e.s à débattre de la gestion de déchets et matières radioactifs. Cet atelier avait un objectif en plus, celui de sensibiliser les futurs professionnel.le.s.

Inclure les sciences humaines dans les débats socio-techniques ?

La grande particularité de cet atelier était de mêler ensembles sciences humaines et sciences sociale. Cet apport pluridisciplinaire a beaucoup été mis en avant par la CNDP. Les organisateurs.trices ont sélectionné les participant.e.s afin de respecter un équilibre entre les deux types de formation. Au final il y avait quand même beaucoup plus d’étudiant.e.s en science de la nature, mais cela peut sûrement s’expliquer par le fait qu’il y ait peu de formation en SHS en France orientées sur les liens sciences-société.

Par contre à mon sens, il ne suffit pas d’inviter quelques étudiant.e.s en SHS pour prétendre avoir inclus ces disciplines dans le débat. Je vais donner quelques exemples. Tout d’abord le coeur du débat prenait la forme de serious games, qui sont des jeux de plateaux proposant des mises en situation spécialement conçues pour permettre la discussion entre les membres. Nous étions répartis par groupe de cinq et chaque groupe était accompagné d’un.e facilitateur.trice qui été.e.s présenté.e.s comme des expert.e.s. La majorité de ces expert.e.s (7 sur les 9) étaient des professionnel.le.s de l’expertise nucléaire (ISRN et SITEX), donc des gens avec une formation technique. Où sont les sciences humaines ?

On voit aussi le manque de représentation des SHS dans les informations complémentaires qui nous ont été apportées. Dans la présentation introductive, deux intervenants ont pris un moment pour clarifier des termes scientifiques dont nous allions avoir besoin. Cette clarification était uniquement à destination des étudiant.e.s en SHS car elle était trop basique pour que celles et ceux venant des sciences naturelles aient appris quoi que ce soit. Les organisateur.trice.s ont donc jugé les sciences humaines moins nécessaire à la compréhension du débat. C’est la même chose pour les documents présents sur le site du PNGMDR, ce sont majoritairement des informations techniques. Je repose alors ma question, où sont les sciences humaines ?!

Inclure la politique dans les débats socio-techniques ?

Si je n’avais pas d’avis particulier sur les modes de gestions de ces déchets, j’avais déjà eu l’occasion de réfléchir sur la démocratie participative. Dans le cadre de ma formation universitaire, j’ai assisté à une présentation par Sara Angeli Aguiton de sa thèse intitulée La démocratie des chimères : gouvernement des risques et des critiques de la biologie synthétique, en France et aux États-Unis. Elle a mené une étude sociologique sur ces dispositifs de participation citoyenne et nous en a livré une vision très critique. Des reproches qu’elle a pu faire, j’en ai observé quelques uns pendant le week end.

Par exemple, revenons à la vidéo de présentation. Vers la fin, il est dit que « le sujet de la gestion des matières et des déchets radioactifs sera abordé sous tous ces angles, le débat demeurant ouvert à toutes les questions que les citoyens se poseront. » En soi, ce n’est pas totalement faux. Nous étions invités à dire tout ce que nous avions envie de dire sur les déchets. Mais en fait, le sujet même du débat ne permet pas de poser une des questions les plus importantes : doit-on continuer à utiliser le nucléaire ?

Au final, une bonne partie des discussions du week end auront tourné autour d’aspects techniques plutôt que socio-technique. La politique et l’esprit critique étaient aux abonnés absents et, sauf de rares exceptions, tout le monde était pro-nucléaire et assez proche des idées du gouvernement. Plus qu’un débat démocratique, c’était un échange d’idées de personnes d’accord entre elles.

Source : Angeli Aguiton, Sara. La démocratie des chimères. Gouverner la biologie synthétique. Bord de l’eau (Le)

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